Cette année, l’Urology Week, une initiative de l’association Européenne d’urologie (EAU) met en avant un thème qui touche de près la santé de nombreux patients: les infections urinaires. Une affection parfois banalisée, mais jamais anodine.
Les infections urinaires représentent un motif fréquent de consultation en médecine générale (1). Leur prévalence, plus élevée chez la femme, s’explique par des facteurs anatomiques: urètre court et proximité entre le méat urétral et l’anus (2). Elles sont classifiées selon l’EAU en infection urinaire localisée (cystite) et infection urinaire systémique (prostatite, pyélonéphrite, sepsis urinaire).
Le tableau clinique typique d’une cystite associe douleurs mictionnelles, urgence, pollakiurie, pression ou crampe hypogastrique parfois accompagnée de pyurie. Elle peut être plus difficile à diagnostiquer chez les populations pédiatriques et gériatriques (3).
On parle de cystites récidivantes à partir de trois épisodes par an ou deux épisodes sur six mois.
Les agents pathogènes sont majoritairement bactériens – avec une prédominance d’Escherichia Coli suivi de Staphylococcus Saprophyticus, Klebsiella Pneumoniae, Proteus Mirabilis, Enterococcus faecalis. Des causes virales ou fongiques existent, bien que plus rares (4).
L’enjeu crucial de l’antibiorésistance
La prescription fréquente et parfois inappropriée d’antibiotiques a favorisé l’émergence alarmante de résistances bactériennes, érigeant ce phénomène en problème de santé publique mondial (5). On estime que l’antibiorésistance provoque environ 700.000 décès annuels, un chiffre qui pourrait atteindre 10 millions en 2050 (6).
Une étude belge récente (2024) menée au service d’urgences de l’UZBrussel sur des cultures positives (7) a trouvé que 8,6% des E. Coli produisaient une bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE) et que 47% des bactéries Gram négatifs était résistantes à au moins 1 sur les 6 antibiotiques testés.
La comparaison avec une étude de première ligne datant de 1998 (8) est édifiante: la résistance à la nitrofurantoïne est passée de 7% à 28,6%, et celle aux fluoroquinolones/ciprofloxacine de 1% à 17%. Bien que les populations étudiées diffèrent, cette tendance signale une augmentation préoccupante des résistances en deux décennies.
Un contraste frappant avec la Norvège montre qu’en 2002, la Belgique prescrivait quatre fois plus d’antibiotiques pour les infections urinaires. Les laboratoires microbiologiques belges rapportaient significativement plus de résistances pour l’ampicilline (44% vs 27%), le co-trimoxazole (28% vs 17%), les fluoroquinolones (12% vs 2%) et la nitrofurantoïne (16% vs 11%; p < 0,0001 pour tous) (9).
Les mécanismes bactériens de résistance sont multiples: activation de pompes à efflux expulsant l’antibiotique, le cytoplasme devient imperméable à l’antibiotique, la bactérie commence à produire une enzyme qui inactive l’antibiotique, modification de la cible antibiotique ou production de protéines de protection.
Figure 1: mécanisme de résistance des bactéries (10) 
Pathogenèse des infections urinaires à répétition et virulence d’E. Coli
La survenue d’une infection urinaire résulte d’un déséquilibre entre la virulence bactérienne et les défenses immunitaires de l’hôte. Ces dernières impliquent l’intégrité de l’épithélium vésical (imperméabilité, résistance, protéoglycanes), le système immunitaire inné et adaptatif (11), ainsi que des interactions avec le microbiote urinaire (12). L’adhésion aux cellules épithéliales est une étape cruciale pour la prolifération bactérienne. E. coli utilise des adhésines portées par ses fimbriae pour se lier aux oligosaccharides des cellules urothéliales. Certaines souches peuvent internaliser pour former des communautés bactériennes intracellulaires (réservoirs), échappant à la réponse immunitaire et favorisant les récidives (10,13). Les souches responsables de pyélonéphrites et de cystites expriment des molécules d’adhésines différentes, ce qui explique la possible absence de symptômes du bas appareil lors d’une pyélonéphrite, bien que des chevauchements existent.
Figure 2: virulence de E. Coli (14)

Stratégies de prophylaxie des cystites à répétitions
1. Mesures comportementales
Il est recommandé de maintenir une hydratation suffisante, d’uriner sans retarder notamment après les rapports sexuels, de s’essuyer d’avant vers l’arrière, d’éviter les douches vaginales et le port de sous-vêtements trop serrés (15).
2. Alternatives non antibiotiques
- œstrogènes locaux: chez la femme ménopausée, la carence en œstrogène entraîne une atrophie des tissus du vagin et de l’urètre, une diminution de lactobacille et une élévation du PH vaginal. Tout ceci diminue la résistance contre les microbes. Chez les femmes en période péri-ménopausale, l’application topique d’œstrogènes réduit d’environ 58% l’incidence des cystites comparé au placebo, sans effets systémiques notables. Notons que l’œstrogénothérapie orale est inefficace pour cette indication (16).
- immunomodulation/vaccin: contient des lysats bactéries afin de stimuler l’immunité adaptative muqueuse. Parmi les différentes approches d'immunomodulation, les résultats varient selon la préparation utilisée. Le vaccin sublingual MV140 est celui qui démontre les résultats les plus prometteurs à ce jour. Une étude randomisée contrôlée a en effet montré qu'il réduisait l'incidence des cystites d'environ 55% par rapport au placebo (17). Son profil de tolérance est également favorable, avec peu d'effets secondaires notés. La durée du traitement est de trois mois, mais son bénéfice s'inscrit dans le long terme. Les données démontrent que la réduction du taux d'infection persiste bien au-delà de la période d'administration, perdurant jusqu'à la fin du suivi à neuf mois. De même, un extrait oral d’E. coli (OM-89) a été évalué chez des femmes présentant des cystites récidivantes. Dans une étude randomisée, en double aveugle et multicentrique, Bauer et al. ont montré une réduction significative du nombre d’épisodes par patiente (0,84 vs 1,28 par an, soit –34% par rapport au placebo), avec un profil de tolérance satisfaisant (18). Toutefois, les résultats des autres essais sont moins constants, et l’ensemble des preuves disponibles est donc moins robuste que pour le MV140.
- probiotiques (Lactobacillus spp.): l’objectif est de restaurer la flore vaginale et intestinale bénéfique par compétition avec les uropathogènes.
- L’efficacité est souche-dépendante; les souches L. rhamnosus GR-1, L. reuteri RC-14, L. casei shirota et L. crispatus CTV-05 ont démontré le plus de bénéfices. Sept méta-analyses sur onze concluent à un effet clinique favorable (19).
- canneberge: son efficacité, bien que variable dans la littérature, est soutenue par l’EAU en raison de son innocuité. Son mécanisme d’action principal repose sur les proanthocyanidines (polyphénols) qui inhibent l’adhésion des bactéries à l’épithélium urinaire (20).
- D-mannose: ce sucre simple, excrété intact dans les urines, agit comme inhibiteur compétitif de l’adhésion des E. coli (notamment via leurs fimbriae de type 1) aux cellules urothéliales. Son efficacité prophylactique a été rapportée comme comparable à celle des antibiotiques dans certaines études (21), bien que l’ensemble des données reste faible et contradictoire.
- méthénamine hippurate: il s’agit d’un antiseptique urinaire fréquemment utilisé comme prophylaxie des infections urinaires récidivantes en Angleterre et dans les pays nordiques. Cet antiseptique urinaire à libération acide-dépendante agit en générant la dégradation de la méthénamine en formaldéhyde dans l'urine pour prévenir la colonisation bactérienne. Le méthénamine hippurate s’est avéré non inférieur à l’antibioprophylaxie pour prévenir les récidives dans une étude randomisée, avec un profil d’effets secondaires similaire (22). Les participantes présentaient en moyenne 6,8 infections urinaires par an, réduites à seulement 1,4 épisode sous traitement par cette molécule. Au-delà de cette efficacité clinique, l’essai a également montré que le méthénamine entraînait moins de résistances bactériennes que les antibiotiques, qu’il était coût-efficace à court terme et bien accepté par les patientes. Il serait opportun de pouvoir aider les patientes en mettant cet antiseptique à la disposition du corps médical belge.
- xyloglucan, hibiscus et propolis: le xyloglucan est un polysaccharide végétal qui forme un filme protecteur sur la muqueuse de la vessie et de l’urètre, l’hibiscus possède des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes et enfin le propolis, une action antibactérienne. La combinaison démontre une diminution des cystites à répétition comparé au placebo (23).
- centaurii herba, Ievistici radix et rosmarini folium : cette association combine des effets diurétiques, anti-adhésifs, anti-inflammatoires et antibactériens. Une étude randomisée contrôlée comparant un antibiotique avec centaurii herba, levistici radix et rosmarini folium ou avec placebo pour 3 mois a montré moins de récidives de cystites pour le premier groupe (24).
3. Antibioprophylaxie
À réserver aux cas absolument nécessaires, en raison du risque d’antibiorésistance.
Alternatives non antibiotiques pour les cystites aigue
- L’association phytothérapeutique de centaurii herba, levistici radix et rosmarini folium s’est montrée non inférieure à la fosfomycine trométamol en termes de recours à un antibiotique de secours dans une étude chez des femmes de 18 à 70 ans (25). Le taux d’inconfort était similaire.
Figure 3 : Inconfort avec Canephron (BNO 1045) et Fosfomycine trometamol (FT) (25)

- La combinaison xyloglucan-gelose-hibiscus-propolis (23) comparée à un placebo s’est avérée supérieur en termes de résolution clinique et microbiologique, sans effets secondaires cliniquement significatifs.
- Les anti-inflammatoire non stéroïdiens (AINS): la prise d’ibuprofen était non inférieur à la prise d’antibiotique en terme de symptômes et d’effets secondaires (26).
Les recommandations de l’Association Européenne d’Urologie (EAU) vont dans ce sens: une recommandation forte est émise pour proposer aux femmes adultes des approches non antibiotiques pour le traitement et la prévention des cystites aiguës ou récidivantes, en les informant du niveau de preuve (15). Mais la prudence est requise pour les patients gériatriques.
Disponibilité en Belgique
Plusieurs alternatives sont d’ores et déjà accessibles: œstrogènes topiques, probiotiques, canneberge, D-mannose, et des associations hibiscus-propolis-xyloglucan. L’association centaurii herba, levistici radix, rosmarini folium est disponible dans d’autres pays comme la France et sa mise à disposition en Belgique pourrait représenter une valeur ajoutée pour les patients comme pour les médecins. Le vaccin sublingual MV140 est accessible via des programmes d’accès précoce. L’hippurate de méthénamine est largement utilisé en Angleterre et dans les pays scandinaves et représenterait une alternative prophylactique sérieuse s’il devait un jour faire son apparition sur le marché belge
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Catégorie |
Statut en Belgique |
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Œstrogènes vaginaux |
Disponible sur prescription |
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Immunomodulation: OM-89 |
-MV140 pas disponible en Belgique (disponible en Espagne, Mexique, accès compassionnel ailleurs) |
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Probiotiques : |
Disponible OTC |
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Canneberge |
Disponible OTC |
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D-mannose |
Disponible OTC |
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Méthénamine hippurate |
Pas disponible en Belgique mais disponible en Angleterre et dans les pays scandinaves |
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Xyloglucan + hibiscus + propolis |
Disponible OTC |
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Centaurii, levistici et rosmarini |
Disponible dans l’UE OTC, import possible en Belgique |
Résumé et conclusions :
Les cystites récidivantes constituent un problème fréquent et un défi de santé publique face à l’augmentation des résistances bactériennes. En Belgique, la résistance d’E. coli aux antibiotiques a fortement progressé ces 20 dernières années, renforçant l’urgence de trouver des alternatives non antibiotiques.
La prophylaxie repose d’abord sur les mesures comportementales. Plusieurs approches non antibiotiques sont désormais validées:
- Les œstrogènes vaginaux, efficaces chez la femme ménopausée.
- L’immunomodulation, avec le vaccin sublingual MV140 (réduction de 55 % des récidives) et UroVaxom® (données plus hétérogènes).
- Les probiotiques (efficacité souche-dépendante), la canneberge, le D-mannose avec des preuves contradictoires.
- Le méthénamine hippurate, démontré non inférieur à l’antibioprophylaxie, avec moins de résistances et une bonne tolérance, mais indisponible en Belgique.
- Les associations phytothérapeutiques comme Xyloglucan, Hibiscus et Propolis ou Centaurii, Levistici et Rosmarini, avec des résultats prometteurs.
Enfin, certaines alternatives non antibiotiques sont aussi explorées pour les cystites aiguës (centaurii herba, levistici radix et rosmarini folium non inférieur à la fosfomycine; AINS comparables aux antibiotiques pour le soulagement symptomatique; xyloglucan, hibiscus et propolis supérieur au placebo).
Les recommandations de l’EAU 2025 intègrent désormais ces stratégies, incitant à une réduction raisonnée de l’usage des antibiotiques.
En Belgique, plusieurs options (œstrogènes locaux, probiotiques, canneberge, D-mannose, xyloglucan, hibiscus et propolis, certains vaccins) sont disponibles, mais d’autres comme le méthénamine hippurate, MV140 et centaurii, levistici et rosmarini mériteraient d’être accessibles afin d’élargir l’arsenal thérapeutique pour nos patients.
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